• Trente minutes que je cherche un document important.

    J'entends ma mère : Range ta chambre !

    Je sursaute.

    Mon psy n'est pas génial... J'entends toujours ma mère quand je suis prise en flagrant délit de mauvaise conscience. Il faut que j'en trouve un autre.

    -         Maman, je te rappelle que j'ai grandi et que ce n'est pas une chambre, mais un cabinet. Et qu'on m'évite les blagues habituelles fondées sur les acceptions de ce mot, de grâce...

    -         Range ta chambre, range ta chambre, range ta chambre...

    M'énerve...

    Je sais qu'elle a raison, et que je n'aurais pas perdu une demi-heure à chercher ce qui n'est forcément pas trop loin si je l'avais rangé, mais j'ai un problème avec l'ordre. Ou avec ma mère, ce qui revient au même.

    Et quand je range, je ne me souviens plus où.

    Alors que mon bordel ambiant me permet d'avoir tout sous la main. Ou presque. C'est plutôt sous des papiers, des livres, des codes et mille autres choses, mais le principe est valable.

    Pour ne pas obéir à ma mère, je décide de classer et non ranger.

    Tiens, une invitation... « RSVP avant le 15 septembre ». Classement vertical. Ma mère :

    -        On répond à son courrier le jour où on le reçoit. Ça évite ce genre d'impairs.

    -        Oh ça va... z'ont qu'à l'envoyer en recommandé; la date de réception sera certaine et mon retard aussi !

    Relance de mon comptable. En recommandé. Zut.

    -         Ah ! Tu vois !

    -        Oui, mais considérant que je suis sa cliente, que le client est roi, et que l'exactitude est la politesse des rois, je ne sais plus où je voulais en venir, mais je fais ce que je veux avec mes cheveux. Non, ma comptabilité. Tu m'embrouilles. T'as rien d'autre à faire que de me hanter ?

    Un brouillon, deux brouillons, dix brouillons. Poubelle. Non, je garde. On ne sait jamais. Je fais un tas « archives ».

    Des photos. Mais qui cela peut-il bien être ? Classement vertical. Et puis non. Un tas « photos ».

    Un article sur le clonage thérapeutique. Tas « archives ».

    Des notes prises au gré de mes lectures. Tas « archives ». Un beau petit tas que celui-là. Je devrais peut-être le fractionner en autres tas...

    Des crayons. Euh... pas de pot à crayons, c'est aussi gland que d'avoir les photos de sa famille sur son bureau. Je n'arrive pas à comprendre que certains aient besoin d'un pense-bête pour se souvenir de la tête de leurs gosses. Il est vrai qu'ils ne les voient pas beaucoup. Donc les crayons, sur le tas « photos » en attendant mieux.

    Gomme. Avec les crayons.

    Post-its. Dans mon agenda. Où est mon agenda? Merde. Important ça, l'agenda... Sous les tas ? Non. Poubelle ? Non. Sac ? Non plus. D'ailleurs, je devrais ranger, pardon, classer, mon sac aussi.

    Donc, je le renverse sur le bureau, sur les tas.

    Wow, tout ça là-dedans !

    Portefeuille, je garde, évidemment. Penser à classer les tickets de CB... Un tas de plus.

    Deux porte-monnaie ! Le comble pour un panier percé...

    Cartes de visite, papiers, crayons...

    Maquillage, brosse à dents... Ah bon ? Je suis prévoyante malgré moi...

    Des briquets ! J'en cherchais. J'ai failli arrêter de fumer à force de n'avoir pas de briquet. Où sont les cigarettes ?

    Je soulève les tas à la recherche des cigarettes, les déplace, brasse bien le tout jusqu'à ce que je ne voie plus rien d'autre qu'une montagne de matière, indéfinissable, sur ce qui était mon bureau quelques minutes auparavant.

    Et qu'on m'épargne les blagues sur matière et cabinet...

    Du désordre, je suis passée au désespoir.

    -         Range ta chambre !

    -         Nan ! Je n'y arrive pas. Et je suis crevée.

    -         Forcément, tu perds du temps et de l'énergie à chercher ce qui devrait être rangé...

    -         Non, je perds du temps et de l'énergie à ranger ce que je cherche. Car enfin, Maman, ne te souviens-tu pas de la deuxième loi de la thermodynamique : l'entropie ? révise ta chimie ou relis Hawking : « une tasse élevée sur la table est en état élevé d'ordre, mais une tasse brisée sur le plancher est en désordre. On peut passer aisément de la tasse sur la table dans le passé à la tasse brisée sur le plancher mais pas on ne fera jamais l'inverse. L'accroissement du désordre, ou entropie, avec le temps est un exemple de ce que l'on appelle la "flèche du temps", indiquant une direction au temps. ». Pour simplifier, l'entropie augmente toujours avec le temps, donc le désordre. L'énergie que je dépense à vouloir mettre de l'ordre engendre plus de désordre dans l'univers que l'ordre illusoirement créé ainsi. Moléculairement parlant bien sûr. C'est inéluctable. Entropie et flèche du temps.

    -         Te servir des molécules pour justifier ton bazar... J'aurais tout entendu  de toi!

    -         Ben oui, et de ton temps, les enfants étaient plus polis, mais je ne suis plus une enfant. Epargne-moi ton discours de vieille conne. La science a parlé, tu te tais.

    Pfiou. La flèche du temps : directement dans son cœur !

    Un-zéro. L'ai bien calmée là, ma mère. Que j'aime.

    -         Parfait. Je me tais. La vieille ignare se tait. Mais sache que tu n'as jamais été si proche d'avoir mon âge, et qu'il ne sert donc à rien de me l'opposer...

    -         Ton âge ! Mais ma bonne Maman, je vais avoir trente ans... je suis plus proche de mes vingt ans que de tes cinquante...

    -         Non, ma fille... La flèche du temps... Tu n'auras plus jamais vingt ans, alors que cinquante, peut-être... Si tu ne te noies pas dans ta merde d'ici là...Remarque, dans un cabinet...

    -         J'avais dit : pas de blagues sur ce mot !

    Je ne peux pas lutter avec mon esprit malade, si ma mère se joint à lui.

    De l'inconvénient d'avoir une mère, intelligente... Même dans mes dialogues hallucinés.

    Vite, trouver une réplique implacable...

    Je transpire à grosses gouttes, mais je ne perdrai pas la face devant la projection de ma mère... Que dirais-je à mon psy la prochaine fois, sinon ? Ma mère a toujours raison, même dans mes délires... Au secours !

    Je tends une main lasse vers mon tas de tas, cherchant de l'aide...

    -         « L'ordre est le plaisir de la raison : mais le désordre est le délice de l'imagination »

    -         Encore une excuse ?

    -         Non, Claudel.

    -         Ah.

    Yes. Vive le tas « archives » ! Vive le bordel !

    Dommage de citer Claudel quand on se targue de ne croire qu'en la science...

    Mais fin du classement.

     

    La prochaine fois, un peu de probabilités : le paradoxe du prisonnier.

    Toujours intéressant de faire des maths quand on est juriste.

    Et nous relirons les textes saints, de toutes les religions.

    Ca peut servir aussi.


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  • Mardi matin, tranquillement en train de rédiger mon courrier (mais pourquoi une lettre en appelle-t-elle au moins deux autres ?), téléphone :

    -         Toi qui, bien que désespérément scientifique au point de ne croire en rien sauf en l'atome...

    -         Le quark.

    -         Hein ?

    -         Deux. L'atome est dépassé, mais bon, venons-en au fait, j'ai des choses à écrire.

    -         Justement, donc toi qui malgré tout, aimes écrire...

    -         Précisément, là, maintenant, je n'aime plus écrire.

    -         Pourquoi ?

    -         Je rédige mon courrier.

    -         Ah. Ben quand faut l'faire, faut l'faire. Donc, je disais...

    -         Ne dis plus rien. Tais-toi.

    -         Mais quoi encore ?

    -         « Ben quand faut l'faire, faut l'faire » ? C'est tout ce que tu trouves à dire !

    -         Ben oui. Si c'est à faire, il faut le faire.

    -         Mais trouve autre chose, diantre ! Tu es avocat. L'éloquence, bordel !

    -         Mais euh ! Justement, j'ai un discours à écrire, et je cherche de l'aide.

    -         Donc ça te donne le droit de m'agresser de bon matin avec des platitudes de café. Et tu espères servir la même soupe à ton auditoire... je vois ça d'ici : « Msieurs-Dames, Bien le bonjour. C'est gentil de vous être déplacés de si loin par ce froid, et vous n'êtes pas venus pour rien, y aura du champagne à la fin. Mais attention ! Un verre ça va. Trois verres bonjour les dégâts. Celui qui conduit ne boit pas. Mais c'est pas tout ça, pourquoi sommes-nous réunis ce soir ? Pour parler d'un sujet d'extrême importance, bla bla bla et autres conneries pas drôles mais vulgaires ». Au mieux tu récolteras quelques ronflements, au pire une indignation gênée mais polie. Le vote du public sera unanime : dehors !

    -         Tu es de mauvaise humeur.

    -         Je suis d'excellente humeur. J'ai été assaillie par un nœud papillon à pois rouges, mais je vais mieux.

    -         Plaît-il ?

    -         Oui, à pois rouges, c'est insensé, non ?

    -         Tu as encore abusé des anxiolytiques et tu as des hallucinations.

    -         Je ne suis pas folle, ni droguée. Je te dis que je l'ai vu. Ce matin.

    -         Les nœuds papillons ne se promènent pas seuls, surtout le matin. Même à pois rouges.

    -         Il était accompagné évidemment.

    -         Certainement. Plus on est de fous plus on rit.

    -         J'en ai marre de tes expressions toutes faites qui me défont. Venons-en au fait.

    -         Je te laisse, je ne parle pas aux gens de mauvaise humeur.

    -         Mais je ne suis PAS de mauvaise humeur ! Et tu m'appelles pour me raccrocher au nez. Permets-moi de te dire que ça, ça me met de mauvaise humeur.

    -         Bon, faut qu'j'y aille, c'est pas tout ça, mais j'ai un discours à écrire.

    -         « Faut qu'j'y aille... c'est pas tout ça... », mais arrête ! Tu me scies les oreilles avec de telles expressions.

    -         Je raccroche, par compassion pour tes oreilles.

    -         Non. Tu m'as dérangée, alors que j'accomplissais une tâche d'extrême importance, pour une raison absconse. Je veux la connaître.

    -         L'éloquence est-elle morte ?

    -         Tu oses me le demander... Ecoute-toi et tu le sauras. La raison de cet appel minable, STP.

    -         L'éloquence est-elle morte ?

    -         Je ne sais si elle est morte, mais l'ennui est bien vivant. Je passe sur ton caractère itératif, mais je commence à bailler. Le sujet, STP.

    -         L'éloquence est-elle morte ?

    -         Avec des perroquets comme toi. Assurément.

    -         C'est le sujet.

    -         On n'est pas dans la merde : Monsieur Brèves de comptoir veut disserter sur l'éloquence. Est-ce que je vais donner des cours en école de secrétariat ?

    -         Ah !... Voilà pourquoi tu es de mauvaise humeur...

    -         J'écoute, docteur Freud.

    -         Ta secrétaire est absente, et tu te tapes le courrier.

    -         Je rédige toujours moi-même mon courrier. L'absence de ma secrétaire, si elle m'emplit d'inquiétude pour sa santé, ne me pose aucun problème. Non que je veuille minimiser son apport personnel à l'entreprise commune que nous menons chaque jour, mais, je te l'assure, sa maladie ne me cause d'autre souci que de la savoir affaiblie.

    -         Pffffffff. Compassion, vaillance et modestie. Tout toi, ça... « Je rédige moi-même mon courrier »... Evidemment. Et moi, je rédige moi-même mes actes.

    -         Non, toi, tu exploites des étudiants en droit en leur faisant miroiter une association dans dix ans, s'ils sont sages et continuent de ne pas réclamer de contrepartie financière... Quel grand honneur en effet que de rédiger pour le Maître... Celui qui explique l'éloquence aux autres à grands coups de « bonjour chez vous ! ».

    -         Ne sois pas désagréable, tu connais l'état de la profession. J'exploite, mais j'ai des remords. Donc, malgré ta mauvaise humeur et le courrier en retard que tu dois taper (fait mal au vernis, non ?), m'aideras-tu ?

    -         Ca dépend... Ta secrétaire tapera le discours ?

    -         Non. Un étudiant, oui.

    -         Envoie-le moi et tu auras ton discours. Date de l'audience ?

    -         Ce soir.

    -         Bien. Je garde ton étudiant pour la journée.

    -         J'en ai besoin.

    -         Je sais. Mais tu veux un discours correct. On fait 50-50 : tu me fais perdre mon temps, ton étudiant le rattrape.

    -         D'accord.

    -         Je reste ta bien dévouée.

    -         A ce soir.

    -         C'est ça. Et bonjour chez toi !

     

    Hop ! Secrétaire malade remplacée par un étudiant sans que j'aie des remords à l'exploiter : ce n'est pas mon stagiaire, mais celui d'un ignoble esclavagiste...

    Meilleure humeur.

    Courrier de côté : il a des doigts, l'étudiant.

    Quant au discours, dictaphone :

    « Mes Chers confrères, je suis heureux de vous compter si nombreux ce soir, malgré ce froid qui nous assaille. Vous venez de loin aux funérailles de l'éloquence, je vous en remercie. Nous boirons évidemment à l'issue de la cérémonie en l'honneur de la défunte. Mais afin de ne pas déplorer d'autre perte en nos rangs, je vous saurais gré de bien vouloir apprécier la dive bouteille avec modération... L'éloquence est-elle morte ? Certains le prétendent mais nous savons tous qu'il n'en est rien... »

    Vais pas me fendre d'un essai non plus ... L'éloquence d'accord, mais on est entre avocats. Ils en tous entendu parler, mais ne l'ont jamais vue...

    Allez, je rattrape mon vernis.


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  • Il y a quelques heures, alors que je traversais la place, me rendant du Palais au cabinet de mon analyste, je fus amusée par la vue d'une camionnette bleue affublée de haut-parleurs scandant une chanson que Staline n'aurait pas reniée, à propos de drapeau rouge de la liberté et autres vœux pieux.

    Trois types l'écoutaient, pénétrés.

    Il s'agissait d'une manifestation d'employés CGT de GDF contre la probable privatisation de leur entreprise.

     

    J'arrive chez le bourreau, pose la tête sur le billot et débite ce qui passe en elle consciencieusement.

    Une demi-heure et 58 euros plus tard, je traverse à nouveau la place pour me rendre au Palais, parce que faut pas charrier, j'ai un métier moi, Môssieur.

    Les CGTistes sont passés à dix.

     

    Je fais mes affaires et sors du Palais par l'entrée principale (c'est comme pour l'ordinateur : pour l'arrêter, il faut cliquer sur démarrer).

    Quand soudain, l'envie de fumer une cigarette me prend (ma mère hurlerait de me savoir fumer dans la rue, mais c'est justement pourquoi je me déleste régulièrement de 58 euros auprès d'un rétrécisseur de têtes : pour supporter l'image de ma mère furibonde de ma désobéissance).

     

    La clope au bec, je fouine dans mon sac, à la recherche d'un hypothétique briquet, sans me rendre compte que, comme dans un film d'Hitchcock, des nuées de GDFiens se sont posées sur la place et qu'un  étrange silence s'est fait.

    Je sursaute quand l'un des oiseaux donne le signal de départ des revendications en hurlant dans son porte-voix.

     

    J'ai un peu peur, ce qui augmente mon envie de nicotine.

    Pas de briquet.

    Au fond du sac de Mary Poppins, une boîte d'allumettes, marquée « la Rucola ».

    Au fond de la boîte, une allumette.

    Victoire.

     

    Alors que j'allais me livrer au périlleux exercice d'allumer une cigarette avec une allumette sur une place exposée au vent, un des bleuets s'approche de moi à tire-d'aile, et dans un souffle, fatal à mon addiction, me demande :

     -         Vous êtes pour ou contre la privatisation de GDF ?

    -         Je ne réponds jamais aux sondages sans contrepartie, rétorquè-je, fumasse de ne pas fumer,

    -         Ce n'est pas un sondage. C'est de la Nation qu'il s'agit.

    -         Ah ! si c'est la Nation... Je ne réponds alors qu'à l'appel des urnes. Et je n'entends rien sonner. Z'avez pas du feu ?

    -         L'avenir ne vous intéresse pas ?

    -         L'avenir, mon bon Monsieur, nul ne peut le prédire. J'ai déjà assez de mal à me souvenir où se trouve la Rucola où j'ai chopé cette boîte d'allumettes dont vous avez gâché le dernier élément. Je ne vais pas, en plus du souvenir du passé, m'embarrasser de considérations oiseuses sur le temps qu'il va faire demain. Alors, l'avenir, le vôtre ou le mien, je le laisse venir, justement, et on verra bien. Vous qui êtes dans le métier, z'auriez pas un allume-gaz avec lequel j'allumerais ma cigarette, bien qu'on ne fume pas où se trouvent des agents GDF ?

    -         Vous vous foutez de moi ?

    -         Certainement pas. En toute matière, il vaut mieux s'adresser à un spécialiste et vous me devez une allumette.

    -         Vous êtes folle ! Et inconséquente ! C'est votre avenir aussi !

    -         Bon, vous voulez savoir l'avenir ? Dans cinq minutes, on déplorera la mort d'un agent GDF, assassiné par une toxico en manque de nicotine. Et il n'est pas certain qu'un ou deux gazoducs ne sautent pas prochainement.

    -         Pauvre France !

    -         J'vous l'fais pas dire. Et bonjour chez vous.

     
    C'est vrai, quoi : i m'embête çui-là !

    Je paie déjà assez cher un taiseux pour analyser le passé afin de supporter le présent. Je ne vais pas en plus m'embarrasser de l'avenir...

    Ça ne passe pas assez vite, selon lui ?

     

    Deuxième boîte d'allumettes, « La Maison Rouge », vide.

    Je vois où c'est, mais pas quand j'y suis allée pour la dernière fois.

    Je perds la mémoire en plus.

     

    J'entre dans un bar-tabac pour acheter un briquet.

    Pas de monnaie.

    Pas de CB pour 1,50 euros.

    Ca se complique.

     

    Je devrais peut-être arrêter de fumer, pour préserver mes nerfs et ma santé.

    Mon avenir se joue peut-être maintenant.

    L'avenir, encore !

     

    Je rentre et vide tous les tiroirs à la recherche du feu sacré.

    Pas de briquet.

    Cinq boîtes d'allumettes, aux mentions diverses qui ne m'évoquent rien. Toutes vides.

     

    Au fond d'un tiroir, un morceau de papier gribouillé : Justice conflits, amour OK, santé attention, perte d'argent.

    Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

    Mon passé m'échappe décidément.

    Ah ! Oui, il s'agissait de l'avenir !

     

    Quelques semaines auparavant, alors que je zonais une fois de plus sur le Net, j'étais tombée sur un site de voyants qui proposaient dix minutes de consultation gratuite.

    Ne négligeant aucune économie, j'avais appelé le médium.

     

    Tirage du tarot à l'autre bout du fil (plus vite, Monsieur l'expert, parce qu'en fait de gratuité, il faut tout de même compter le téléphone que je paie, et le temps que je perds, or le temps c'est de l'argent), et diagnostic : ça va, ou presque.

    Ah ?

    Il voit des problèmes en Justice, des conflits possibles, beaucoup d'avocats, de juges, des papiers...Méfions-nous !

    Je note.

    Je me tais, mais je me marre : prédire un passage au tribunal à un avocat, c'est extralucide !

    Amour : on m'aime.

    Je note, et décide que je poserai la question le soir-même à celui qui met mes bas au lave-linge en programme 90 degrés, au cas où il ne serait pas là par erreur, juste pour le confort d'avoir un toit. Quel heureux hasard en effet s'il s'agissait d'un amoureux potentiel... (Réponse de l'intéressé gardé à vue : - Aïe, mais oui ch't'aime, tu le sais bien ! - Bon, j'éteins la lampe. C'était juste pour vérifier que mon voyant était bon. - Ton voyant ? Mais tu ne crois en rien. As-tu oublié que le métier de devin est interdit ? Tous des charlatans. Tu devrais te méfier. On ne sait pas ce qui peut arriver avec ces gens-là ! - Il ne m'a rien prédit de tel, or s'il devait m'arriver quelque chose, il le saurait ! - Tu es folle... - Et maintenant tu t'en prends à mon psy !)

    Santé : méfiez-vous, un coup de froid est vite arrivé.

    Je note : bientôt l'automne, penser à ranger le maillot de bain. Ne pas aller nue au boulot. Bien vu !

    Argent : aaaaaaaaaaaaaaaaaaaah... un problème...

    -         Quoi ?

    -         Une perte prochaine.

    -         Non ?

    -         Si !

    -         Quand ?

    -         Bientôt !

    -         C'est la fourrure ? Je sais que c'est la fourrure. Je culpabilisais en l'achetant. C'est vrai, une fourrure en plein mois d'août, ce n'est pas raisonnable... Mais elle n'était pas chère. Et c'est du lapin. Ce n'est pas grave, le lapin. Il n'a plus besoin de sa peau quand on l'a mangé. Personnellement, je ne mange pas de lapin, mais je connais des gens qui en mangent. Alors c'est pas grave. C'est pas du bébé phoque. Je sais, c'est une perte d'argent. Je sais, je sais, je sais. Je n'aurais pas dû. Bon, alors, avec le débit différé, à la fin du mois, je perdrais le prix de cette fourrure, parce que c'est vrai que je ne la mettrai jamais. Voilà.

    -         Non.

    -         Quoi, non ?

    -         Ce n'est pas la fourrure. Je ne vois pas de fourrure dans les cartes.

    -         Vous avez une carte fourrure ? Parce que j'ai acheté un jeu de tarot et je ne vois pas la carte fourrure...

    -         C'est fini.

    -         Quoi ?

    -         Les dix minutes gratuites.

    -         Nooooooooooooooooooon !

    -         Si.

    -         Mais vous ne pouvez pas me laisser dans l'incertitude !

    -         Il y a bien un moyen...

    -         Lequel ?

    -         Une consultation complète.

    -         D'accord, mais je veux tout savoir alors : amour, gloire et beauté. Et l'argent. Beaucoup d'argent.

    -         On ne choisit pas.

    -         Si.

    -         Votre numéro de carte ?

    -         Lisez-le dans les vôtres !

    -         Je vous fais un prix.

    -         J'accepte. Mais c'est bien parce que c'est vous. Moi, vous savez, je ne crois en rien.

    -         Je sais.

    -         Nooooooooooooooooon ?

     

    Une demi-heure plus tard, j'avais appris que des procès étaient en vue, qu'un homme m'aimait, et que je pourrais attraper un rhume. Sur l'argent, les cartes restaient floues. Pas moyen de contrer cette perte à l'origine indéfinissable.

    Bon.

     

    A la lecture de l'extrait de compte suivant, atchoum !, je m'aperçus qu'une perte était effective : 60 euros m'avaient été débités par le tarologue-bobologue, pour 30 minutes de conversation.

    Effectivement, du gratuit payant et sans révélation, c'est une perte sèche.

     

    Quel talent, ce voyant !

    Il avait tout vu. Moi rien.

     

    Et j'aurais mieux fait de m'en tenir là.

    Parce l'avenir, à ce prix-là, mieux vaut s'en passer.

     

    Je me fous donc de la privatisation de GDF.

     

    De toutes façons je n'achèterai pas d'actions.

    J'arrête les frais.

     

    D'autant plus que je ne vois pas pourquoi j'achèterais à l'avenir une partie de ce qui m'appartient déjà en totalité aujourd'hui.


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  • Bon.

    Il faut que je sorte de mon lit, malgré cette crève.

    Je surfe depuis une heure et ça me donne des idées bizarres.

    Je compare les seins que je trouve aux miens, et regrette presque d'avoir une vie normale.

    Je pourrais avoir des nichons extras et les vendre.

    Je serais reine des photos de nu.

    Je deviendrais hardeuse.

    Je ferais ça deux ou trois ans.

    Naturellement, j'y mettrais tant de coeur (et de cul!) que je deviendrais star du X.

    Et puis j'annoncerais que j'arrêterais, pour devenir une vraie comédienne, qui déclame des textes intelligents et s'offusque que les réalisateurs les plus abscons ne lui donnent aucun premier rôle.

    Je ferais tous les plateaux de télé et défendrais que le cinéma porno nécessite un jeu d'acteur subtil, et que mon expérience en la matière justifie que je joue du Tchekov, là, tout de suite, maintenant.

    Evidemment, ça ne marcherait pas.

    Alors je vendrais, en attendant, mes seins, dans les boîtes de nuit en banlieue.

    Mais ce serait juste en attendant.

    A bout de patience, un jour, après 2000 cours de comédie ("Mais non, on dit ô, pas HHHHHHhhhanooooooh, dans des textes classiques" me diraient mes professeurs), je déciderais de changer de vie, et retournerais chez mes parents.

    Ils ne voudraient plus me voir, surtout depuis qu'ils auraient découvert que leurs voisins s'excitent parfois en visionnant mes premières oeuvres.

    Je vendrais alors encore mes seins.

    En tant que call-girl, cette fois.

    Je me droguerais, pour supporter les hommes qui me paieraient.

    Et je mourrais d'une overdose.

    Les journaux titreraient sur la mort d'une étoile trop vite filée, qui n'a pas eu le temps de montrer tout son talent (et on ne parlerait alors pas que des mes seins).

    Ils auraient découvert que j'étais bonne comédienne.

    Les réalisateurs intellos me pleureraient, et déclareraient qu'ils arrêtent le cinéma, la seule actrice capable de leur donner envie de diriger venant de les quitter.

    Je serais une grand actrice.

    Morte.

    Bon.

    Il faut que j'arrête de surfer.

    Deux Dolipranes, et je reprends ma vie normale.

    Je vais quand même mettre des lunettes noires.

    On ne sait jamais.


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  • J'adore!

    Je vous lis (presque) tous depuis quelques minutes, au lieu de dormir, et je me rappelle pourquoi j'adore internet.

    Je ne me souviens plus de la vie avant.

    Comment suivait-on des études? Pas de mailing list pour se faire passer les cours, pas d'adresse mail des profs à qui envoyer nos plaintes et récriminations, pas de thèses et autres mémoires publiés à pomper allègrement pour avoir l'air génial dans ses minables devoirs.

    Comment trouvait-on un numéro de téléphone dans la France entière, quand on n'avait que l'annuaire de son département?

    Comment prévoyait-on des vacances, quand on avait la flemme de se déplacer dans une agence de voyage, aux guichets SNCF, Air Truc, et quand on n'avait pas envie de téléphoner à tous les hôtels du coin pour savoir s'ils étaient corrects (merci les visites virtuelles), ni qu'on avait la bonne carte routière?

    Comment se déplaçait-on dans Paris sans plan de poche, alors qu'il suffit désormais d'imprimer son itinéraire?

    Comment pouvait-on avoir des soirées tranquilles si on les passait à téléphoner à des gens à qui on n'a rien à dire, juste pour savoir s'ils sont toujours vivants, alors qu'un mail prend deux secondes?

    Comment faisait-on ses courses, alors que les rayons sont devenus virtuels mais les marchandises restent réelles et montent les étages toutes seules (ou presque)?

    Comment achetait-on livres, disques, produits de beauté, et autres conneries qui nous culpabilisent quand on les porte dans des sacs toute la journée, qui pèsent chaque minute un peu plus lourd, alors qu'aujourd'hui un inconnu vous offre des fleurs et autres niaiseries en sonnant à votre porte (bon, d'accord, l'inconnu, c'est moi qui lui en ai donné l'ordre, mais je ne vois pas passer le paiement...)?

    Comment, d'ailleurs, faisait-on un virement, consultait-on ses comptes, et autres plaisirs bancaires, quand on avait (et a toujours) la mauvaise habitude de ne pas ouvrir le courrier postal?

    Comment jouait-on au tarot la nuit sans être encore étudiant?

    Comment rencontrait-on des hommes, pour un soir ou pour la vie?

    Comment se sentait-on moins seule?

    J'adore internet.

    Chers inconnus, je vous adore.


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